Femme indépendante. (Notes de terrain.)
"Le troisième
bar était le bon. Agréablement illuminé. Le patron
est un géant de 60 ans qui fêtait son anniversaire hier. Ils
servent de la Guiness, importée du Congo Démocratique. La
Guiness! On y trouve un ami de José et une fille que nous ne connaissons
pas. Elle fait du commerce entre Luanda, Cabinda et Soyo. Pas souvent d’argent,
son argent est en marchandises. Son copain est de Cabinda. La semaine prochaine,
le 11, il va venir pas mal de députés ici pour la fête
de l'indépendance. Cette fille a l'air gazée. On lui offre
une Skol, qu'elle boit tranquillement. Une, deux. Elle se réveille
et explique comment elle gère ses relations avec son ami qui a des
copines bien sûr. Mais elle a décidé de faire la forte,
de ne pas faire d'esclandre. Si elle le trouve avec une de ses conquêtes,
elle ne dit rien, elle n'en parle pas, elle entre en conversation amicale
avec la fille. Le lendemain pas de guerre, elle fait l'amour avec lui. Pas
de problème. Alors, lui et ses copines à elle, ils s'étonnent
et lui demandent : " mais tu ne sens donc rien ?" Elle dit, si
mais maintenant, non. Je me suis fait une raison. Chacun veille à
son propre intérêt. Si cela me convient. Il fait ce qu'il veut
de sa vie, de la même manière que je fais ce que je veux de
la mienne.
J'ai l'impression de connaître cette attitude, j'ai l'impression de
l'avoir déjà observée, et je n'arrête pas de
me répéter mentalement alors qu'elle raconte, individualisme
pur, pur et dur; la grande communauté d'individus en paix les uns
avec les autres, tolérants vis-à-vis des désirs des
autres mais seuls, autonomes, c'est cela l'Afrique ? Cela distingue les
Européens des Africains ? C'est cela aussi la leçon de l'Afrique
? En tout cas, ces questions sont tellement pertinentes en Europe également;
au-delà des maladies relationnelles, des dépressions, de cette
confusion affective européenne, les Africains tiendraient le bon
bout ? Plutôt ils nous éveillent à des horizons plus
vastes, ils nous éveillent la conscience"